Le cor du postillon.
Ce matin, en promenant mon chien, jai eu froid. Allez savoir pourquoi jai brusquement pensé à tous ceux qui, malgré la neige et le verglas, font leur métier. En rentrant chez moi, jai entendu les nouvelles. Il paraît que les camions sont bloqués sur les autoroutes et que si lon na rien à faire de très urgent, il vaut mieux rester bien au chaud chez soi.
Voilà, je ne sais pas si ce sont ces quelques brides dinformations qui mont mis la puce à loreille, mais je men vais vous raconter une histoire que jai entendue dans ma tête.
Chercher le courrier dans sa boîte aux lettres est une chose vraiment des plus banales et lon ne sétonne même plus de recevoir une lettre postée la veille par un ami à des centaines de kilomètres.
Mais il nen na pas été toujours ainsi.
Je veux parler de lépoque où lon avait ni voiture, ni train, ni davion . A cette époque-là, le courrier voyageait par diligence. Jen ai vu une dans le musée de la poste : une grande voiture jaune avec comme emblème, un cor pas de chasse, non, un cor plus petit, dans lequel le conducteur assis en plein vent, soufflait pour annoncer larrivée de la malle-poste.
Mon histoire remonte donc à cette époque-là : une époque rude où les routes et chemins nétaient pas sûrs, où il ne faisait pas bon voyager. Et pourtant, le postillon mettait un point dhonneur à passer quand même, à arriver à lheure. Alors, à létape, on sarrêtait dans un relais : une auberge pour les voyageurs et une écurie pour les chevaux. Parfois on sarrêtait pour passer la nuit. Parfois il fallait continuer. Alors on attelait des chevaux frais, quatre ou six, et lon repartait.
Mon histoire se passe donc un jour dhiver. La veille il était tombé une grosse couche de neige, puis, durant la nuit, le thermomètre sest mis à baisser si bien que le lendemaint matin, tout était gelé. Le froid venait vous mordre le bout du nez et lon avait intérêt à porter des habits bien chauds.
Sur la diligence, le postillon sétait emmitouflé. Il avait beaucoup de mal à diriger ses chevaux car la neige avait formé des congères et les chevaux peinaient, les pauvres, à avancer.
Le temps passait et la diligence avait pris beaucoup de retard. Mais le conducteur nétait pas homme à savouer vaincu, alors avec autorité, mais avec gentillesse, il lançait ses ordres et les chevaux quoique exténués, continuaient davancer.
La nuit allait bientôt tomber quand il aperçut au loin le clocher du village étape. Alors il saisit son cor et souffla comme il navait jamais soufflé. Cétait pour annoncer sa venue, pour annoncer sa victoire sur les éléments.
Mais il avait beau souffler de toutes ses forces, aucun son ne sortait de linstrument
Quand ils arrivèrent à lauberge, les voyageurs furent bien contents daller se réchauffer devant la grande cheminée. Le postillon avait froid lui aussi, mais il soccupa tout dabord de ses chevaux. Il les frotta avec de la paille car ils étaient pleins de sueur, puis il leur donna de lavoine et de leau dont il prit bien soin quelle soit tempérée.
Cest seulement le devoir accompli, que lhomme alla rejoindre laubergiste. Il suspendit son cor au porte manteau et se dirigea vers le comptoir.
« Tu aurais au moins pu nous avertir de ton arrivée », lui reprocha laubergiste.
« Je lai fait, répondit le postillon, mais aucun son nest sorti de mon cor. »
« Raconte cela à qui tu voudras » rétorqua le patron de lauberge.
Et, comme cela faisait des années quils se connaissaient, lincident fut vite oublié. Le postillon sassit devant une grosse assiette de soupe fumante. Il avait bon appétit et la conscience tranquille.
Dans lauberge, les voix sétaient tues. Chacun mangeait, chacun reprenait des forces.
Cest à ce moment-là, dans ce silence presque irréel que le cor se mit brusquement à sonner de toutes ses forces.
On cria au sortilège, au miracle. Mais daucuns prétendent que dehors, dans le froid, les notes avaient gelé et quà lintérieur, bien au chaud, elles venaient tout juste de dégeler.
Moi, je ne crois ni aux sorcières ni aux miracles, mais cette histoire de cor qui se met à sonner tout seul me plait bien. Ce nest peut-être après tout que le sort qui venait de remercier le postillon pour tout le mal quil sétait donné.