LA PIZZA.
Les enfants étaient rentrés de lécole avec leurs bulletins. Maman avait lu les appréciations des maîtres. Son visage séclaira dun sourire et elle dit :« je suis contente. Vous avez bien travaillé ; pour récompense, je vous propose de préparer une pizza que nous mangerons ce soir, quand papa rentrera. »
Les petites mains applaudirent car les enfants adoraient bricoler dans la cuisine.
Alors tout ce petit monde se lava les mains et chacun retroussa ses manches. Laînée fut chargée daller chercher la farine. Elle rapporta la grosse boîte de fer blanc, dans laquelle maman stockait la farine. Faut vous dire que maman avait connu la guerre avec son cortège de privations. Cette période sombre avait laissé des traces indélébiles. Maman ne se sentait en sécurité quau moment où elle avait stocké quelques gros paquets de farine et une bonne vingtaine de bouteilles dhuile. Cest là ce que lon désigne par le mot savant datavisme. Maman, quant à elle, parle plutôt de prudence, de prévoyance.
Préparer une pizza, cest tout une affaire, alors on avait dressé comme une espèce de plan de travail afin que les différentes opérations senchaînent logiquement.
On commença par réaliser la pâte et les petites mains prirent beaucoup de plaisir à mélanger la farine, leau, la levure de boulanger et le sel. Quand tout fut bien pétri, maman ajouta une bonne louche dhuile que les enfants incorporèrent à la pâte en faisant bien attention à ne rien éclabousser. Ensuite à couvrit le récipient avec un linge humide laissant à la levure le soin de la transformation alchimique.
Pendant que la pâte levait, on attaqua la garniture. Maman navait jamais appris à faire des pizzas, mais elle avait du bon sens. Alors on monda quelques tomates, on éplucha les courgettes et lon éminça quelques poivrons. Le gamin fut chargé de découper les champignons et le jambon. Puis on râpa le gruyère.
Maman fit cuire le tout dans une cocotte en fonte un peu comme lon prépare une ratatouille et lon mit le tout à refroidir dans lévier rempli deau glacée.
Ensuite les enfants prirent le rouleau à pâtisserie pour étaler la pâte. On graissa un moule rectangulaire et lon y déposa la pâte en ayant soin de faire une espèce de bord épais.
Maman alluma le four et pendant quil préchauffait, les enfants furent chargés de déposer la garniture. Pour terminer, le petit déposa quelques poignées de gruyère râpé. Puis on enfourna.
Il faut bien compter une bonne demi-heure pour que la pâte gonfle et prenne sa forme définitive, pour que la garniture commence à émettre des odeurs alléchantes.
On profita de cette attente pour dresser la table et, quand papa rentra, tout le monde sinstalla autour de la table pour déguster de bon appétit la pizza qui, contenait non seulement des légumes et de la pâte mais aussi une bonne dose damour, une dose de joie, de bonheur aussi.
Cétait il y a bien longtemps. Cétait il y a bien des années, tellement dannées que la pizza de lépoque est devenue un souvenir et quà son évocation, je sens monter dans mes narines comme une odeur de jeunesse, de bonheur aussi.
Vingt ans après :
Les enfants étaient rentrés de lécole avec leurs bulletins. Maman avait jeté un coup dil rapide sur les appréciations des maîtres. Vous savez disait-elle lautre jour à la voisine : « les maîtres ne sont plus ce quils étaient dans le temps. Jai limpression quils ont perdu la foi en leur métier »
Mais comme les enfants avaient bien travaillé à lécole, maman annonça : « ce soir nous allons manger de la pizza »
Mais elle ne débarrassa pas la table de la cuisine. Personne ne se lava les mains, ni retroussa les manches.
Maman avait saisi le téléphone pour passer commande
« Vous me livrerez une Margarita et une Napolitaine. Oui pour vingt heures précises »
Surtout nessayer pas de savoir pourquoi les pizzas daujourdhui nont plus le même goût que celles dautrefois.